Citations

Chers/es amis/es internautes,
Nous mettons en ligne, pour vous, nos citations préférées de Colette.
A vous de nous proposer les vôtres !
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Bonne lecture à tous et à toutes !

Amour

« Toutes les amours tendent à créer une atmosphère d’impasse » (Le Pur et l’Impur)

« Je l’ai rencontré, épousé, j’ai vécu avec lui pendant plus de huit ans… que sais-je de lui ? qu’il fait des pastels et qu’il a des maîtresses. Je sais encore qu’il réalise quotidiennement ce prodige déconcertant d’être, pour celui-ci, un « bûcheur » qui ne songe qu’à son métier ; pour celle-là, un ruffian séduisant et sans scrupules…
Il y a encore bien d’autres Taillandy, que je ne connaîtrai jamais…
Parmi tous ces hommes-là, où est le vrai ? Je déclare humblement que je n’en sais rien. je crois qu’il n’y a pas de vrai Taillandy… Ce balzacien génie du mensonge a cessé brusquement, un jour, de me désespérer, et même de m’intriguer… mon Dieu ! que j’étais jeune, et que je l’aimais cet homme-là ! et comme j’ai souffert !… » (La Vagabonde)

« C’est folie de croire que les périodes vides d’amour sont les ‘blancs’ d’une existence de femme. Bien au contraire. Que demeure-t-il, à le raconter, d’un attachement passionné ? L’amour parfait se raconte en trois lignes : Il m’aima, je L’aimai, Sa présence supprima toutes les autres présences ; nous fûmes heureux, puis Il cessa de m’aimer et je souffris… Honnêtement, le reste est éloquence, ou verbiage. » (Bella-Vista)

« La béatitude n’enseigne rien. Vivre sans bonheur et n’en point dépérir, voilà une occupation, presque une profession. » (La Retraite sentimentale)

Amitié ou Ami(e)s

« Chercher l’amitié, la donner, c’est d’abord crier : “Asile ! Asile !” Le reste de nous est sûrement moins bien que ce cri, il est toujours assez tôt pour le montrer. » (La Naissance du jour)

« C’était elle qui décida que notre amitié s’élargirait jusqu’à devenir ce lien que la séparation étire sans le rompre. » (L’Etoile Vesper)

« Ceux que je voulais durables, bien accrochés à leur vie et à la mienne, où sont-ils ? Jamais l’idée me fût-elle venue que Marguerite Moreno ma quitterait ? La fatigue sur elle se faisait bénigne, elle riait de dédain quand je lui vantais l’oisiveté et le demi-somme de la sieste… Mais Marguerite prend un refroidissement, succombe en huit jours. Mais Luc-Albert Moreau rencontre un ami, s’écrie joyeusement : “Ah ! mon vieux, je suis content de te voir !” et meurt sur la place, trahi par son cœur. Et avant eux, Léon-Paul Fargue… Tout près de mourir il murmurait contre le bleu de ses draps qu’il avait fait teindre : “Beaucoup trop bleu… inadmissible…” Et d’autres qu’il me faut renoncer à nommer, sinon à compter… En moi-même, je leur reproche leur fin, je les appelle imprudents, négligents… Me priver d’eux, si brusquement, me faire ça, à moi… Aussi ai-je repoussé, hors de ma vue et de mon souvenir, leur image de gisants, leur posture de quiétude définitive. Fargue soudain sculpté ? Je n’en veux pas. Mon Fargue à moi porte encore ses souliers poudreux de piéton, il parle, il gratte la tête noire du chat, il me téléphone, il va de Lipp à Ménilmontant, il commande à la houle trop bleue de sa couche… les pieds de Marguerite Moreno, chaussés d’or immobile ? Oh ! non. Mon souvenir me les garde nonchalants, mobiles, vulnérables et jamais las. » (Le Fanal bleu)

« L’amitié peut beaucoup. » (Le Fanal bleu)

« J’ai des amis plus jeunes, surtout plus jeunes que moi. D’instinct, j’aime acquérir et engranger ce qui promet de durer au-delà de mon terme. » (La Naissance du jour)

« Mes amis véritables m’ont toujours donné cette preuve suprême d’attachement : une aversion spontanée pour l’homme que j’aimais. ’’Et s’il disparaît encore, celui-là, que de soins pour nous, quel travail pour l’aider, elle, à reprendre son aplomb. » (La Naissance du jour)

« Il est bon de traiter l’amitié comme les vins, et de se méfier des mélanges. »

« Ils m’ont donné des fleurs, des fruits et des bonbons, et les soixante-quinze ans auxquels j’avais droit depuis la veille au soir. Ils m’ont donné des louanges imprimées dans les journaux, et telles que j’ai pu croire que je ne compte au monde que des amis. » (Le Fanal bleu)

« Mes souvenirs de Marguerite Moreno, j’entends les plus anciens, je les perds, les retrouve, notre vie à toutes deux les disperse, les rassemble. Elle voyagea, je ne bougeai guère. Nous nous mariâmes, nous démariâmes, nous remariâmes. Elle habita les régions pures de la poésie, s’essaya en Argentine à une pédagogie supérieure ; je jouai la pantomime à l’Apollo et ailleurs. Après des périodes de silence dont je pouvais tout craindre, des lettres échangées nous replantaient d’aplomb au sein d’un attachement intact. » (Le Fanal bleu)

« Je ne sais pas quand je m’habituerai à la mort de Moreno. Cinquante-quatre ans d’amitié ! Et pas d’une amitié tout unie et toute facile, tu sais ? Une amitié qui a été menacée, qui aurait pu périr, mais de laquelle rien n’a eu raison. » (Lettre à Jean Cocteau)

» (…) c’était elle qui décida que notre amitié s’élargirait jusqu’à devenir ce lien que la séparation étire sans le rompre (…)  » (L’Etoile Vesper)

Aventure/évasion

« Vous n’imaginez pas quelle reine de la terre j’étais à douze ans. » (Les Vrilles de la vigne)

« Une nuit de printemps, le rossignol dormait debout sur un jeune sarment, le jabot en boule et la tête inclinée, comme avec un gracieux torticolis. Pendant son sommeil, les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes et tenaces dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère, les vrilles de la vigne poussèrent si dru, cette nuit-là, que le rossignol s’éveilla ligoté, les pattes empêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes…
Cassantes, tenaces, les vrilles d’une vigne amère m’avaient liée, tandis que dans mon printemps je dormais d’un somme heureux et sans défiance. Mais j’ai rompu, d’un sursaut effrayé, tous ces fils tors qui déjà tenaient à ma chair, et j’ai fui… Quand la torpeur d’une nouvelle nuit de miel a pesé sur mes paupières, j’ai craint les vrilles de la vigne et j’ai jeté tout haut une plainte qui m’a révélé ma voix. » (Les Vrilles de la vigne)

« Je ne pensais pas à fuir. Où aller, comment vivre ? Toujours ce souci de Sido. Toujours ce refus intransigeant de retourner auprès d’elle, d’avouer… Il faut comprendre que je ne possédais rien en propre. Il faut aussi comprendre qu’un captif, animal ou homme, ne pense pas tout le temps à s’évader, en dépit des apparences, en dépit du va-et-vient derrière le bureau, d’une certaine manière de lancer le regard très loin derrière les murailles…
Fuir ?… Comment fait-on pour fuir ?… Nous autres, filles de province, nous avions de la désertion conjugale, vers 1900, une idée énorme et peu maniable, encombrée de gendarmes, de malles bombées et de voilette épaisse, sans compter l’indicateur des chemins de fer… » (Mes apprentissages)

« Devant moi, c’est le trouble avenir. Que je ne sache rien de demain, que nul pressentiment ne m’avertisse… Je veux espérer et craindre que des pays se trouvent où tout est nouveau, des villes dont le seul nom vous retient, des ciels sous lesquels une âme étrangère se substitue à la vôtre… Ne trouverai-je pas, sur toute la grande terre, un à peu près de paradis pour une petite créature comme moi ?…. » (Claudine s’en va)

« Une vie commence ce soir, dans un lieu inconnu, dans les lits froids que nous napperons à la hâte…
Oui, mais c’est une vie nouvelle, le soleil qui marquera sur le mur un chemin nouveau, des sons nouveaux au lever du jour, une chambre de travail qui regarde le sud…
En route, en route ! Notre aventure, d’un arrondissement à l’autre, vaut une traversée. » (Trois… Six… Neuf…)

« S’étonner est un des plus sûrs moyens de ne pas vieillir trop vite. » (Discours de réception à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique)

« Petites feux aigus des étoiles lointaines, affolés et perdus pour un nuage qui les enfume, palpitations larges des planètes, tournoiement sidéral… Il me manque la grande planète, Vénus à l’humide éclat. Le mien neveu m’explique pourquoi elle est si souvent inaccessible à notre vue… A son troisième nom, Vesper, j’associe, je suspends celui de mon propre déclin. Autrefois, elle resplendissait sur mon enfance, semblait surgir des bois de Moutiers, au milieu d’un couchant apaisé. Mon père levait le doigt, nommait : « Vesper ! » et récitait des vers. Puis il plantait le faible petit télescope sur son trépied et visait les étoiles… » (L’Etoile Vesper)

Bêtes

« Je ne puis pas rester très longtemps sans parler des bêtes. » (Paris de ma fenêtre)

« M’émerveillerai-je jamais assez des bêtes ? Celle-ci est exceptionnelle comme l’ami qu’on ne remplacera pas, comme l’amoureux sans reproche. D’où vient l’amour qu’elle me porte ? Elle a, d’elle-même, réglé son pas sur le mien, et le lien invisible, d’elle à moi, suggérait le collier et la laisse. » (La Naissance du jour)

« On n’aime point à la fois les bêtes et les hommes. Je deviens de jour en jour suspecte à mes semblables. Mais s’ils étaient mes semblables, je ne leur serais pas suspecte. » (La Naissance du jour)

« L’ouïe mentale, que je tends vers la Bête, fonctionne encore. Les drames d’oiseaux dans l’air, les combats souterrains des rongeurs, le son haussé soudain d’un essaim guerroyant, le regard sans espoir des chevaux et des ânes, sont autant de messages à mon adresse. Je n’ai plus envie de me marier avec personne, mais je rêve encore que j’épouse un très grand chat. » (La Naissance du jour)

« L’homme, déchiffreur des cryptogrammes antiques, l’homme inventif, déductif, subtil, en sait moins sur la bête que son ancêtre d’il y a trois mille ans. Il vit avec elle, l’exploite, la mange, la dépèce vivante au nom de la science – c’est peu, il a établi une dictature béate sur une dizaine d’espèces, cheval, chien, chat, bovins, petits ou gros, volailles ; mais il n’entend rien du langage qu’elles parlent, alors qu’elles frémissent du tumulte, fût-il muet, de la pensée humaine. » (Colette journaliste, « Des bêtes »)

« Douter de la solidarité de la bête, c’est douter de son intelligence. Cependant elle invente patiemment, et sa longue rêverie désabusée, à nos côtés porte parfois des fruits, si évidents qu’ils frappent notre négligence. » (Colette journaliste, « Des bêtes »)

Chats

Oui, dans ma vie, il y a eu beaucoup de chiens – mais il y a eu le chat. À l’espèce chat, je suis redevable d’une certaine sorte, honorable, de dissimulation, d’un grand empire sur moi-même, d’une aversion caractérisée pour les sons brutaux, et du besoin de me taire longuement. » (Les Vrilles de la vigne, « Amours »)

Chiens

«Loin de moi de vous oublier, chiens chaleureux, meurtris de peu, pansés de rien. Comment me passerais-je de vous ? Je vous suis si nécessaire… Vous me faites sentir le prix que je vaux. » (Les Vrilles de la vigne, « Amours »)

Chats et chiens

« Depuis mon enfance, j’ai toujours réuni dans mon cœur et sous mon toit les chiens et les chats, et il y a beaucoup de chances pour que certains Dialogues entre Toby-Chien et Kiki-la-Doucette ne soient pas uniquement de la littérature. Si l’auteur y a donné une place un peu supérieure au chat, c’est que j’ai toujours vu, chez le chien, s’il est intelligent et bon, une sorte d’humilité tendre devant le chat, non pas la servilité d’inférieur à supérieur, mais plutôt la courtoisie que déploient les hommes très forts devant les femmes délicates. (« Les bêtes et nous »)

Écriture

« Écrire ! pouvoir écrire ! cela signifie la longue rêverie de la feuille blanche, le griffonnage inconscient, les jeux de la plume qui tourne en rond autour d’une tache d’encre, qui mordille le mot imparfait, le griffe, le hérisse de fléchettes, l’orne d’antennes, de pattes, jusqu’à ce qu’il perde sa figure lisible de mot, mué en insecte fantastique, envolé en papillon-fée…
Écrire… C’est le regard accroché, hypnotisé par le reflet de la fenêtre dans l’encrier d’argent, la fièvre divine qui monte aux joues, au front, tandis qu’une bienheureuse mort glace sur le papier la main qui écrit. Cela veut dire aussi l’oubli de l’heure, la paresse au creux du divan, la débauche d’invention d’où l’on sort courbatu, abêti, mais déjà récompensé, et porteur de trésors qu’on décharge lentement sur la feuille vierge, dans le petit cirque de lumière qui s’abrite sous la lampe…
Écrire ! verser avec rage toute la sincérité de soi sur le papier tentateur, si vite, si vite que parfois la main lutte et renâcle, surmenée par le dieu impatient qui la guide… et retrouver, le lendemain, à la place du rameau d’or, miraculeusement éclos en une heure flamboyante, une ronce sèche, une fleur avortée…
Écrire ! plaisir et souffrance d’oisifs ! Écrire !… j’éprouve bien, de loin en loin, le besoin, vif comme la soif en été, de noter, de peindre… Je prends la plume, pour commencer le jeu périlleux et décevant, pour saisir et fixer, sous la pointe double et ployante, le chatoyant, le fugace, le passionnant adjectif… Ce n’est qu’une courte crise, la démangeaison d’une cicatrice…
Il faut trop de temps pour écrire ! Et puis, je ne suis pas Balzac, moi… » (La Vagabonde)

« Pas de narration, bon Dieu ! Des touches et des couleurs détachées, et aucun besoin de conclusion, je me fous qu tu demandes pardon à sa mémoire de l’avoir méconnu, Proust, et je me fous que Sardou ait été “un des rois du théâtre contemporain”, tu comprends ? Même-chose-pareil pour Iturri… Un dîner “charmant et délicat”, une “conversation qui vagabonde d’un sujet à un autre” qu’est-ce que tu me montres, en écrivant ça ? Pouic. Colle-moi un décor, et des convives, et même des plats, sans quoi ça ne marche pas ! malgré toi, tu penses à Mme Brisson. Je te le défends. Libère-toi. Et tâche, ô mon cœur, de nous cacher que ça t’emmerde d’écrire. » (Lettres à Marguerite Moreno, septembre 1924)

« Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m’enchante et me blesse et m’étonne ; mais il y a toujours, vers l’aube de cette nuit sonore, une sage main fraîche qui se pose sur ma bouche, et mon cri, qui s’exaltait, redescend jusqu’au verbiage modéré, à la volubilité de l’enfant qui parle haut pour se rassurer et s’étourdir… » (Les Vrilles de la vigne)

« […] la réussite est moins affaire de pensée que de rencontre de mots. Signes errants dans l’air, parfois les mots, appelés, daignent descendre, s’assemblent, se fixent… Ainsi semble se former le petit miracle que je nomme l’œuf d’or, la bulle, la fleur : une phrase digne de ce qu’elle a voulu décrire. » (Mélanges)

« C’est folie de croire que les périodes vides d’amour sont les ‘blancs’ d’une existence de femme. Bien au contraire. Que demeure-t-il, à le raconter, d’un attachement passionné? L’amour parfait se raconte en trois lignes : Il m’aima, je L’aimai, Sa présence supprima toutes les autres présences ; nous fûmes heureux, puis Il cessa de m’aimer et je souffris…
Honnêtement, le reste est éloquence, ou verbiage. L’amour parti, vient une bonace qui ressuscite des amis, des passants, autant d’épisodes qu’en comporte un songe bien peuplé, des sentiments normaux comme la peur, la gaieté, l’ennui, la conscience du temps et de sa fuite. Ces ‘blancs’ qui se chargèrent de me fournir l’anecdote, les personnages émus, égarés, illisibles ou simples qui me saisissaient par la manche, me prenaient à témoin puis me laissaient aller, je ne savais pas, autrefois, que j’aurais dû justement les compter pour intermèdes plus romanesques que le drame intime. Je ne finirai pas ma tâche d’écrivain sans essayer, comme je veux le faire ici, de les tirer d’une ombre où les relégua l’impudique devoir de parler de l’amour en mon nom personnel. » (Bella-Vista)

« Je suis devenue écrivain sans m’en apercevoir, et sans que personne s’en doutât. Sortie d’une ombre anonyme, auteur de plusieurs livres dont quelques-uns étaient signés de mon nom, je m’étonnais encore que l’on m’appelât écrivain, qu’un éditeur et un public me traitassent en écrivain, et j’attribuais ces coïncidences renouvelées à un hasard complaisant, hasard qui de palier en palier, de rencontre en prodige, m’a amenée jusqu’ici. » (Discours de réception à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique)

« […] il importe seulement que je dénude et hisse au jour ce que l’œil humain n’a pas, avant le mien, touché… » (Sido)

Enfance

«Une enfant très aimée, entre des parents pas riches, et qui vivait à la campagne parmi des arbres et des livres, et qui n’a pas connu ni souhaité les jouets coûteux : voilà ce que je revois en me penchant ce soir sur mon passé… » (Les vrilles de la vigne)

« Je me souviens de moi avec une netteté, une mélancolie qui ne m’abusent point. Le même cœur obscur et pudique, le même goût passionné pour tout ce qui respire à l’air libre et loin de l’homme – arbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles -, la même gravité vite muée en exaltation sans cause… Tout cela, c’est moi enfant et moi à présent… » (Les vrilles de la vigne)

Vous n’imaginez pas quelle reine de la terre j’étais à douze ans ! Solide, la voix rude, deux tresses trop serrées qui sifflaient autour de moi, comme des mèches de fouet ; les mains roussies, griffées, marquées de cicatrices, un front carré de garçon que je cache à présent jusqu’aux sourcils… Ah ! que vous m’auriez aimée, quand j’avais douze ans, et comme je me regrette ! » (Les vrilles de la vigne)

« Notre turbulence étrange ne s’accompagnait d’aucun cri. Je ne crois pas qu’on ait vu enfants plus remuants et plus silencieux. C’est maintenant que je m’en étonne. Personne n’avait requis de nous ce mutisme allègre, ni cette sociabilité limitée. » (La Maison de Claudine)

« Il faut encourager, chez l’enfant, le désir et le besoin de sociabilité. Où les eussé-je pris, ce besoin, ce désir, Une enfance heureuse prépare mal aux contacts humains, et la mienne se sustentait pleinement entre des proches tendres, un peu fantasques, riches d’eux-mêmes, d’une farouche délicatesse. » (Le Voyage égoïste)

Femmes

« Je n’ai jamais donné autant d’estime à la femme, autant d’admiration que depuis que je la vois de tout près, depuis que je tiens, renversé sous le rayon bleu métallique, son visage sans secrets, riche d’expression, varié sous ses rides agiles, ou nouveau et rafraîchi d’avoir quitté un moment sa couleur étrangère. Ô lutteuses ! C’est de lutter que vous restez jeunes. (Les Vrilles de la vigne, « Maquillages »)

« Elle [Edmée] avait recouvré son élastique volonté, le désir de vivre, de régir, la prodigieuse et femelle aptitude au bonheur. » (La Fin de Chéri)

« Non, ce n’est pas l’imprévu qui manque, ici, à tant et tant de femmes. C’est… autre chose, de très prévu, et de difficile à exprimer, un charme qu’elles dédaignent, et pourtant très féminin, qui serait fait d’incompétence, d’embarras, de silence… » (Dans la foule, « Les femmes au Congrès »)

« Le grand changement pour la femme, il y a un quart de siècle, fut d’adopter un genre d’existence où pour commencer tout la blessa. Après, elle dut se former à tous les apprentissages rapides, accepter l’atmosphère des usines, s’acclimater aux vestiaires, aux réfectoires au vacarme du labeur en commun, aux froissements qui lui venaient des compagnes et des compagnons, à la sécheresse des relations bureaucratiques. Admirez ce qu’elle obtint d’elle-même en si peu d’années ! Pour aguerrie, elle l’est. » (Paris de ma fenêtre)

Humour

« Madame B… – Âge : trente-sept ans. Sujet débilité, mais nerveux et plus résistant qu’on ne le supposerait au premier abord. A supporté, de midi et demi à huit heures moins le quart, un chapeau du genre œillère, cachant complètement l’œil et le profil droits. Pas d’autres accidents qu’une giration caractéristique de la tête, des manifestations de demi-cécité (heurt violent d’un meuble, rencontre d’un cheval de fiacre, renversement d’un plateau chargé de pâtisseries, etc.). Ver 7 h 35, le sujet donne des signes de fatigue : bâillements répétés, céphalalgie, vertiges, nausées. La disparition des malaises coïncide avec l’abandon du chapeau-œillère. » (Contes des mille et un matins )

« Une totale absence d’humour rend la vie impossible ». (Chambre d’hôtel)

« Souviens-toi qu’il y a toujours dans la vie d’un homme même avare, un moment où il ouvre toute grande la main…

– Le moment de la passion ?

– Non. Celui où tu lui tords le poignet. » (Mes apprentissages)

« Le théâtre lui-même en voyait de dure avec la mode, par ce temps de grands corsets qui soulevaient la gorge vers le haut, abattaient la croupe, creusaient le ventre. Germaine Gallois, inflexible beauté bastionnée, n’acceptait pas de rôles ’’assis’’. Gainée d’un corset qui commençait sous l’aisselle et finissait près des genoux, deux ressorts de fer plat dans le dos, deux autres au long des hanches, une ’’tirette’’ d’entre-jambes (j’emploie les mots de l’époque) maintenait l’édifice dont le laçage en outre exigeait un lacet de sept mètres, elle restait debout, entractes compris, de huit heures trente à minuit. » (Mes apprentissages)

« La santé, dit un humoriste, est un état précaire qui ne présage rien de bon… » (La Jumelle noire)

Gastronomie

« Si vous n’êtes pas capable d’un peu de sorcellerie, ce n’est pas la peine de vous mêler de cuisine. » (Prisons et paradis)

« Ce n’est certes pas pour la seule édification de ce Viking, de cet Anglais, de ce parigot, de ce brandebourgeois, de ce citoyen d’Amérique, de ce Genevois, de ce Balkanique, que je prônerai l’excellence de quelque vieux plat provençal, les vertus de l’ail, la transcendance de l’huile d’olive, et ma fidélité aux trois légumes inséparables, vernissés, hauts en couleur comme en goût : l’aubergine, la tomate et le poivron doux. » (Prisons et paradis)

« Cuite et recuite, rougie vingt fois, remuée à la pincette, vannée à la pelle, la cendre ne quittait l’âtre, dans le pays de mon enfance, que pour descendre à la cave sèche et servir de linceul aux fromages, les fromages plats et minces de l’Yonne et du Loiret, qui y passaient deux mois, trois, parfois six mois. Ils en sortaient comme d’une catastrophe pompéienne, quasi pétrifiés. Mais leur pulpe était devenue de cire transparente jaune, d’une homogénéité singulière, et d’un goût ami du vin rouge, de la noix d’hiver et de la salade de pissenlit. » (Prisons et paradis)

« D’où me vient ce goût violent du repas des noces campagnardes ? Quel ancêtre me légua, à travers des parents si frugaux, cette sorte de religion du lapin sauté, du gigot à l’ail, de l’eouf mollet au vin rouge, le tout servi entre des murs de grange nappés de draps écrus où la rose rouge de juin, épinglée, resplendit ? » (La Maison de Claudine)

Maison natale

« Dans la chambre que l’on ne parvenait jamais à rendre assez chaude, je naissais péniblement le 28 janvier 1873, et je donnais beaucoup de mal à ma mère en travail. […] je surgis bleue et muette […] à demi étouffée, manifestant une volonté personnelle de vivre et même de vivre longtemps […] » (Le Fanal bleu)

« La maison était grande, coiffée d’un grenier haut… La façade principale de la rue de l’Hospice, était une façade à perron double, noircie, à grandes fenêtres et sans grâces, une maison bourgeoise de vieux village, mais la roide pente de la rue bousculait un peu sa gravité, et son perron boitait, six marches d’un côté, dix de l’autre…
Maison et jardin vivent encore, je le sais, mais qu’importe si la magie les a quittés, si le secret est perdu qui ouvrait, — lumière, odeurs, harmonie d’arbres et d’oiseaux, murmure de voix humaines qu’à déjà suspendu la mort, — un monde dont j’ai cessé d’être digne ?… » (La Maison de Claudine)

« Ma maison de Montigny reste pour moi ce qu’elle fut toujours : une relique, un terrier, une citadelle, le musée de ma jeunesse… Que ne puis-je la ceindre, elle et son jardin vert comme les parois d’un puits, d’une muraille qui la garde de tous les yeux !… Ce n’est pas une vieille maison pauvre d’esprit, c’est la maison de Montigny. Et quand je mourrai ce sera sa fin à elle aussi… Mes yeux prêts de s’éteindre se lèveront vers son toit d’ardoise violette brodé de lichen jaune ; à ce signe la verdure sans fleurs de ce jardin se fondra en brume confuse, les sept couleurs d’un prisme tremblant souligneront les arêtes de sa carcasse sombre et nous demeurerons elle et moi, une seconde suprême moitié ici et moitié déjà là-bas… » (La Retraite sentimentale)

Maisons ou Province(s)

« Grande maison grave, revêche avec sa porte à clochette d’orphelinat, son entrée cochère à gros verrou de geôle ancienne, maison qui ne souriait qu’à son jardin. » (La Maison de Claudine)

« Maison et jardin vivent encore, je le sais, mais qu’importe, si la magie les a quittés, si le secret est perdu qui ouvrait – lumières, odeurs, harmonie d’arbres et d’oiseaux, murmures de voix humaines qu’a déjà suspendu la mort – un monde dont j’ai cessé d’être digne ?… » (La Maison de Claudine)

Mère

« Quarante années ne pesaient guère au personnage principal de toute ma vie, à Sido, quand elle me mit au monde. Mais, après ma naissance, elle engraissa, devint ronde sans enlaidir, dut renoncer à des robes qui soulignaient sa taille de jeune fille… C’est donc à cause de moi qu’elle entra dans son automne de femme, et qu’elle s’y établit sereinement. » (Journal à rebours)

« […] elle trouvait le moyen d’avoir déjà vécu son meilleur temps d’indépendance avant que les plus matineux aient poussé leurs persiennes […] » (La Maison de Claudine)

« Je suis la fille d’une femme qui, dans un petit pays honteux, avare et resserré, ouvrit sa maison villageoise aux chats errants, aux chemineaux et aux servantes enceintes. Je suis la fille d’une femme qui, vingt fois désespérée de manquer d’argent pour autrui, courut sous la neige fouettée de vent crier de porte en porte, chez des riches, qu’un enfant, près d’un âtre indigent, venait de naître sans langes, nu sur de défaillantes mains nues… Puissé-je n’oublier jamais que je suis la fille d’une telle femme qui penchait, tremblante, toutes ses rides éblouies entre les sabres d’un cactus sur une promesse de fleur, une telle femme qui ne cessa elle-même d’éclore, infatigablement, pendant trois quarts de siècle… » (La Naissance du jour)

« Dans le cœur, dans les lettres de ma mère, étaient lisibles l’amour, le respect des créatures vivantes. Je sais donc où situer la source de ma vocation… » (La Naissance du jour)

« Ma mère […] tenait pour naturel, voire obligatoire, d’enfanter des miracles […] » (Sido)

Music-hall

« Que voulez-vous que je fasse ? De la couture, de la dactylographie ou le trottoir ? Le music-hall c’est le métier de ceux qui n’en ont appris aucun…
Il n’y a de réel que la danse, la lumière, la liberté, la musique… Il n’y a de réel que rythmer sa pensée, la traduire en beaux gestes. Un seul renversement de mes reins, ignorants de l’entrave, ne suffit-il pas à insulter ces corps réduits par le long corset, appauvris par une mode qui les exige maigres ? » (La Vagabonde)

« La solitude… la liberté… mon travail plaisant et pénible de mime et de danseuse… les muscles heureux et las, le souci nouveau, et qui délasse de l’autre, de gagner moi-même mon repas, ma robe, mon loyer, voilà quel fut tout de suite, mon lot, mais aussi la défiance sauvage, le dégoût du milieu où j’avais vécu et souffert, une stupide peur de l’homme, des hommes et des femmes aussi… et cette bizarrerie encore qui me vint très vite, de ne me sentir isolée, défendue de mes semblables, que sur la scène, la barrière de feu me gardant contre tous… » (La Vagabonde)

« Pour faire une bonne tournée, une tournée vraiment agréable, il faut…
– Oui, je sais, il faut un nom connu, un talent consacré par la Ville lumière, voire une vedette un peu scandaleuse…
– Qui vous parle de ça ? Pour faire une bonne tournée, il faut une santé solide, une humeur à toute épreuve, des nerfs point surmenés, un estomac et un intestin bien disciplinés, et surtout cette sorte de nonchalance optimiste, ce fatalisme qui fait, d’une troupe en tournée, une caravane de pèlerins où la foi, latente, endormie, se manifeste rarement, mais suffit pourtant à les conduire, de station en station, vers le but jamais atteint, vers le repos… » (Notes de tournées)

Musique

« Le dessin musical et la phrase naissent du même couple évasif et immortel : la note, le rythme. Écrire, au lieu de composer, c’est connaître la même recherche, mais avec une transe moins illuminée, et une récompense plus petite. Si j’avais composé au lieu d’écrire, j’aurais pris en dédain ce que je fais depuis quarante ans. Car le mot est rebattu, et l’arabesque de musique éternellement vierge… » (Mes Apprentissages)

« J’aime la musique, reprit Toby-Chien, car je la redoute ; craindre, c’est presque toujours aimer. » ( « Toby-Chien et la musique »)

Pays natal

« Une femme se réclame d’autant de pays natals qu’elle a eu d’amours heureux. » (La Naissance du jour)

« Ressusciter ce que je fus !… Quelle femme n’a espéré le miracle ?
De grâce… donnez-moi de tendres crayons de pastel, des couleurs qui n’ont pas de nom encore, donnez-moi des poudres étincelantes, et un pinceau-fée, et… Mais non ! car il n’y a point de mots, ni de crayons, ni de couleurs, pour vous peindre, au-dessus d’un toit d’ardoise violette brodé de mousses rousses, le ciel de mon pays, tel qu’il resplendissait sur mon enfance ! » (Paysages et portraits)

« Un jardin sans source ne murmure pas assez et mes regrets ne se détachent pas encore des eaux vives de mon enfance, surgies à petit flot de ma terre natale, perdues sitôt que nées, comme du pâtre, des chemineaux, des chiens chasseurs, du renard et de l’oiseau. Une autre était dans un bois et l’automne la couvrait de feuilles mortes ; une dans un pré, sous l’herbe et si parfaitement ronde qu’une couronne de narcisses blancs, aussi ronde qu’elle-même, décelait seule sa place au printemps. Une coulait en musique d’une berge de route ; une était un joyau un peu bleu, tremblant dans une cuve de pierres grossièrement assemblées et des crevettes d’eau douce nageaient dans son ciel renversé. On m’assure que celle-ci est toujours aussi pure, mais qu’elle sautille, avec un vain effort de cristal, entre quatre parois de ciment, cadeau de la prévoyance humaine et je n’ai de goût que pour les sources sauvages, gardées par l’œil ouvert des myosotis et des candamines, par la grande salamandre tâchée comme un cheval pie. » (Flore et Pomone)

« Odeur des joncs riverains, de l’eau remuée et de la menthe grise, saveur douteuse et séductrice de la cornuelle, ce n’est pas cette année encore que vous échappez à qui sait vous enclore dans une chambre de Paris — en l’espèce un écrivain peu maîtrisé par son mal, mais secouru chaque jour par la fidèle mémoire de son cerveau et celle de ses vieux sens subtils. » (Le Fanal bleu)

Sens

« Cinq sens, que c’est peu… Encore nous quittent-ils, défaillants, l’âge venu. L’œil voilé éloigne de nous la splendeur terrestre, l’ouïe, la pauvre et grossière ouïe humaine, se détourne des sons de ce monde pour n’admettre plus que le murmure progressif, inévitable, d’une force ennemie qui fait le bruit d’une foule… Indifférente ou horripilée, la peau du vieillard ne sait plus mesurer, avant les contacts, l’importance des heurts épidermiques et les facultés d’analyse gustative, déséquilibrées, penchent vers le sucre, ou vers le poivre qui l’un et l’autre pénètrent de monotonie les perspectives gastronomiques. / Seul, respecté du temps, fier dans son aristocratie, incorruptible, l’odorat nous lie, jusqu’à la fin, à l’univers tangible et poétique, ennoblit le présent, ressuscite le passé. » (Prisons et paradis, « Luxe »)

« Ainsi immobile et les yeux clos, elle habite chaque pelouse, chaque arbre, chaque fleur – elle se penche à la fois, fantôme bleu comme l’air, à toutes les fenêtres de sa maison chevelue de vigne… Son esprit court, comme un sang subtil, le long des veines de toutes les feuilles, se caresse au velours des géraniums, à la cerise vernie, et s’enroule à la couleuvre poudrée de poussière, au creux du sentier jaune… C’est pourquoi tu la vois si sage et les yeux clos, car ses mains pendantes, qui semblent vides, possèdent et égrènent tous les instants d’or de ce beau jour lent et pur. » (Les Vrilles de la vigne, « Dialogue de bêtes »)

Odorat

« Dans le domaine de l’olfactif, tout est félicité et supplice, parfois mêlés si subtilement que j’écoute, ainsi qu’on démêle les timbres d’une symphonie, les facteurs divers d’une sensation olfactive réputée pour simple et localisée dans un récepteur palpitant… » (Prisons et paradis, « Luxe »)

Ouïe

« Tous, nous tressaillons lorsqu’une rose, en se défaisant dans une chambre tiède, abandonne un de ses pétales en conque, l’envoie voguer, reflété sur un marbre lisse. Le son de sa chute, très bas, distinct, est comme une syllabe du silence et suffit à émouvoir un poète. » (Flore et Pomone)

« Je tendais mes oreilles “sur Moutiers” ; de l’horizon venaient un bruit égal de perles versées dans l’eau et la plate odeur de l’étang criblé de pluie, vanné sur ses vases verdâtres… » (Sido)

Philosophie de vie

« Une des grandes banalités de l’existence, l’amour, se retire de la mienne. L’instinct maternel est une autre grande banalité. Sortis de là, nous nous apercevons que tout le reste est gai, varié, nombreux. Mais on ne sort pas de là quand ni comme on veut. » (La Naissance du jour)

« Si je me fais sauvage et muette quand je ne suis pas heureuse, c’est que je trouve mes ressources dans le silence et l’insociabilité. » (Lettres au Petit Corsaire)

« Tendre vers l’achevé, c’est revenir vers son point de départ. » (Discours de réception à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique)

« Demain, je surprendrai l’aube rouge sur les tamaris mouillés de rosée saline, sur les faux bambous qui retiennent, à la pointe de chaque lance bleue, une perle… Le chemin de côte qui remonte de la nuit, de la brume et de la mer… Et puis, le bain, le travail, le repos… Comme tout pourrait être simple… Aurais-je atteint ici ce que l’on ne recommence point ? Tout est ressemblant aux premières années de ma vie, et je reconnais peu à peu, au rétrécissement du domaine rural, aux chats, à la chienne vieillie, à l’émerveillement, à une sérénité dont je sens de loin le souffle — miséricordieuse humidité, promesse de pluie réparatrice suspendue sur ma vie encore orageuse — je reconnais le chemin du retour. « (La Naissance du jour)

« La règle guérit tout. » (La Naissance du jour)

« Enchantée encore de mon rêve, je m’étonne d’avoir changé, d’avoir vieilli pendant que je rêvais… D’un pinceau ému je pourrais repeindre, sur ce visage-ci, celui d’une fraîche enfant roussie de soleil… des joues élastiques achevées en un menton mince, des sourcils mobiles prompts à se plisser, une bouche dont les coins rusés démentent la courte lèvre ingénue… Hélas, ce n’est qu’un instant… L’eau sombre du miroir retient seulement mon image qui est bien pareille, toute pareille à moi, marquée de légers coups d’ongles, finement gravée aux paupières, au coin des lèvres, entre les sourcils têtus… Une image qui ne sourit ni ne s’attriste, et qui murmure, pour moi seule : ‘Il faut vieillir. Ne pleure pas, ne joins pas des doigts suppliants, ne te révolte pas : il faut vieillir. Répète-toi cette parole, non comme un cri de désespoir, mais comme le rappel d’un départ nécessaire… […] Eloigne-toi lentement, lentement, sans larmes ; n’oublie rien ! Emporte ta santé, ta gaieté, ta coquetterie, le peu de bonté et de justice qui t’a rendu la vie moins amère ; n’oublie pas ! Va-t’en parée, va-t’en douce, et ne t’arrête pas le long de la route irrésistible, tu l’essaierais en vain – puisqu’il faut vieillir !’ » (Les Vrilles de la vigne, « Rêverie de Nouvel An »)

Regard

« D’autres insignes – un pince-nez, deux pince-nez, une paire de lunettes, une loupe – proclamaient qu’elle était aussi la Découverte. Son grand mot : “Regarde !” signifiait : “Regarde la chenille velue, pareille à un petit ours doré ! Regarde la première pousse du haricot, le cotylédon qui lève sur sa tête un petit chapeau de terre sèche… Regarde la guêpe qui découpe, avec ses mandibules en cisailles, une parcelle de viande crue… Regarde la couleur du ciel au couchant, qui annonce grand vent et tempête. Qu’importe le grand vent de demain, pourvu que nous admirions cette fournaise d’aujourd’hui ? Regarde, vite, le bouton de l’iris noir est en train de s’épanouir ! Si tu ne te dépêches pas, il ira plus vite que toi…” » (Journal à rebours, « Sido et moi »)

« Nous ne regardons, nous ne regarderons jamais assez, jamais assez juste, jamais assez passionnément. » (Paris de ma fenêtre)

« Tous les spectacles suscitent un devoir identique, qui n’est peut-être qu’une tentation : écrire, dépeindre. » (Journal à rebours, « Fin juin 1940 »)

Sido

« Mon imagination, mon orgueil enfantin situaient notre maison au centre d’une rose de jardins, de vents, de rayons, dont aucun secteur n’échappait tout à fait à l’influence de ma mère. » (Sido)

« Je célèbre la clarté originelle qui, en elle, refoulait, éteignait souvent les petites lumières péniblement allumées au contact de ce qu’elle nommait “le commun des mortels” » (Sido)

« J’aurais volontiers illustré ces pages d’un portrait photographique. Mais il m’eût fallu une “Sido” debout, dans le jardin, entre la pompe, les hortensias, le frêne pleureur et le très vieux noyer. Là je l’ai laissée quand je dus quitter ensemble le bonheur et mon plus jeune âge. Là, je l’ai pourtant revue, un moment furtif du printemps de 1928. Inspirée et le front levé, je crois qu’à cette même place elle convoque et recueille encore les rumeurs, les souffles et les présages qui accourent à elle, fidèlement, par les huit chemins de la Rose des Vents. » (Sido)

Théâtre

« J’ai devant moi, de l’autre côté du miroir, dans la mystérieuse chambre des reflets, l’image d’une femme de lettres qui a mal tourné. On dit aussi de moi que je fais du théâtre, mais on ne m’appelle jamais actrice. Pourquoi ? Nuance polie, refus du public et de mes amis eux-mêmes de me donner un grade dans cette carrière que j’ai pourtant choisie. » (La Vagabonde)

« On répète pendant tout une journée sans sourciller, le matin, l’après-midi, le soir, c’est une bonne école, mais rude. » (Lettres de la Vagabonde)

« Ici, on ne voit que la peine que les gens se donnent. La lumière du théâtre, les paillettes, les costumes, les figures maquillées, les sourires, ce n’est pas un spectacle pour moi ça… Je ne vois que le métier, la sueur, la peau qui est jaune au grand jour, le découragement… c’est comme si j’étais seule à connaître l’envers de ce que les autres regardent à l’endroit. » (L’Envers du music-hall)

« Lorsque j’ai songé pour la première fois à Léa et Chéri, ils avaient figure de personnages de théâtre et non de roman. J’hésitai longtemps, regardant émerger de l’ombre les silhouettes indistinctes de la femme mûre, de l’homme trop jeune. Ils se précisèrent, échangèrent ces répliques, ces gestes et ces regards qui font de deux amants deux adversaires, et j’écrivis… un troisième acte que, faute de premier et de deuxième acte, j’abandonnai. » (Interview parue dans Le Journal, 10 décembre 1921)

« Une petite jumelle noire de théâtre, lucide au point d’être un peu cruelle, m’éclairait la physionomie des acteurs, la beauté des actrices, suppléait à mes mauvais yeux. J’en tirais bien de l’agrément, de la commodité et même de la malice. Un jour que je l’avais posée, un court instant, sur la tablette d’un vestiaire, une main coupable – qu’elle fut donc adroite ! – se saisit de ma lorgnette et l’emporta. » (Préface de La Jumelle noire)

« Les acteurs étaient, comme on disait dans mon pays, des ’’voituriers’’, une troupe venue dans des roulottes, avec ses costumes, son matériel, une dame-caissière énorme, des enfants auxquels je portais envie, un singe, un orchestre de quatre musiciens-acteurs… La dame-caissière faisait aussi la cuisine pour toute la troupe. » (La Jumelle noire)

« Créer, entre la salle et la scène, entre interprètes et public, une atmosphère de connivence, voilà à quoi excelle Sacha Guitry. Peu d’auteurs dramatiques sont en possession de le faire. » (La Jumelle noire)

« J’eus toujours la passion de regarder et d’écouter les acteurs, et de les discuter au besoin. Les discuter, c’est leur donner une marque d’attention et d’estime à laquelle je crois qu’aucun d’eux n’est insensible. Leur dur travail vaut mieux qu’une ligne brève, fût-elle de louanges. » (La Jumelle noire)

« Arrivés tard au théâtre, et plutôt par divertissement intellectuel que par vocation, Cocteau et Giraudoux, à leur propre étonnement, commencent à comprendre que c’est par leur théâtre qu’ils sont assurés de porter aux générations à venir un message qui perdure. » (La Jumelle noire)

« À une pièce bien faire, j’ai toujours préféré une pièce attachante. » (La Jumelle noire)

« J’ai parlé plus haut de Madame Sans-Gêne. Je ne puis – et je le déplore – assister à toutes les pièces que le premier théâtre national reprend, redistribue, remet en scène. Mais, habitant depuis peu le carré du Palais-Royal, c’est comme si j’habitais, en province, sous l’aile de l’église paroissiale ! J’entre, en passant, dans le temple. » (La Jumelle noire)

« En pleine Grande Guerre, je débutais à L’Éclair dans la critique dramatique […]. Ce métier d’hiver me parut dur, parce qu’il l’était. La nuit, la guerre, la pluie, la neige… Je mettais des semelles d’amiante dans mes souliers, qui par ainsi devenaient trop étroits. Le dernier métro ne m’attendait pas, et j’habitais Auteuil. » (L’Étoile Vesper)

Vieillesse

« Odeur des joncs riverains, de l’eau remuée et de la menthe grise, saveur douteuse et séductrice de la cornuelle, ce n’est pas cette année encore que vous échappez à qui sait vous enclore dans une chambre de paris – en l’espèce un écrivain peu à peu maîtrisé par son mal, mais secouru chaque jour par la fidèle mémoire de son cerveau et celle de ses vieux sens subtils. » (Le Fanal bleu)

« Je fais de moins en moins la différence entre les heures de nuit et les heures de jour, l’heure de lire, d’écrire, de regarder, toutes sont bonnes… L’heure de conjecturer, de me remémorer… Bientôt, je confondrai, enfin, l’heure de travailler et l’heure de conjecturer. » (Le Fanal bleu)

« Je n’ai plus la maison ; la cinquantaine est loin… Il me reste l’avidité. C’est la seule force qui ne se fasse humble avec le temps. » (Le Fanal bleu)

« Je m’étonne d’avoir vieilli pendant que je rêvais… D’un pinceau ému je pourrais repeindre sur ce visage-ci, celui d’une fraîche enfant roussie de soleil… des joues élastiques achevées en un menton mince, des sourcils mobiles prompts à se plisser, des lèvres dont les coins rusés démentent la courte lèvre ingénue… Hélas, ce n’est qu’un instant… L’eau sombre du petit miroir retient seulement mon image… marquée de légers coups d’ongle, finement gravée aux paupières, au coin des lèvres, entre les sourcils têtus. Une image qui ne sourit ni ne s’attriste et qui murmure pour moi seule : ‘‘Il fait vieillir. Répète-toi cette parole, non comme un cri de désespoir, mais comme le rappel d’un départ nécessaire… » (Les Vrilles de la vigne)

« Comment cela lui est-il arrivé, d’être vieille ? Tout d’un coup, un matin ? Ou peu à peu ? » (La Fin de Chéri)

« Tout est ressemblant aux premières années de ma vie et je reconnais peu à peu, au rétrécissement du domaine rural, aux chats, à la chienne vieillie, à l’émerveillement, à une sérénité dont je sens de loin le souffle, je reconnais le chemin du retour. » (La Naissance du jour)

« Et qu’est-ce que donc que la vieillesse ? Je le saurai. Mais, quand elle sera là, elle cessera de m’être intelligible. Ma très chère aînée [Sido], tu auras disparu sans m’enseigner ce qu’est la vieillesse ». (La Naissance du jour)

« […] un âge vient où il n’est plus donné à une femme que de s’enrichir. » (La Naissance du jour)

« Attendre, attendre… Cela s’apprend à la bonne école, où s’enseigne aussi la grande élégance des mœurs, le chic suprême du savoir décliner. » (La Naissance du jour)

« Au cours des heures où je me sens inférieure à tout ce qui m’entoure, menacée par ma propre médiocrité, effrayée de découvrir qu’un muscle perd sa vigueur, un désir sa force, une douleur la trempe affilée de son tranchant, je puis pourtant me redresser et me dire : Je suis la fille de celle qui écrivit cette lettre – cette lettre et tant d’autres, que j’ai gardées. Celle-ci, en dix lignes, m’enseigne qu’à soixante-seize ans elle projetait et entreprenait des voyages, mais que l’éclosion possible, l’attente d’une fleur tropicale suspendait tout et faisait silence même dans son cœur destiné à l’amour. […] Puissé-je n’oublier jamais que je suis la fille d’une telle femme qui penchait, tremblante, toutes ses rides éblouies entre les sabres d’un cactus sur une promesse de fleur, une telle femme qui ne cessa elle-même d’éclore, infatigablement, pendant trois quarts de siècle… » (La Naissance du jour)

« Il a eu la jeunesse, puis la mort. C’est un destin qu’appellent magnifique ceux qui ont le temps de vieillir. » (La Jumelle noire)

 « Cher Wague, ta carte et moi nous touchons Paris à la même heure. Mais tu n’es qu’un ci et un ça, et je suis une gracieuse jeune fille de 80 ans. »

« S’étonner est un des plus sûrs moyens de ne pas vieillir trop vite. » (Discours de réception à l’Académie Royale de langue et de littérature françaises de Belgique.)

« Quand je n’aurais appris qu’à m’étonner, je me trouverais bien payée de vieillir. » (Prisons et paradis)

« Il se fait tard, sans que je m’en sois aperçue. Il est l’heure de laquelle on dit couramment qu’elle est longue, et triste singulièrement aux personnes âgées et seules. Pourtant deux heures, trois heures, ce sont pour moi des instants, pour peu qu’une relative oisiveté m’y aide ». (L’Étoile Vesper)

« Des projets, mon garçon ? Mais bien sûr. À soixante-treize ans moins un quart, on a toujours des projets. Je n’en manque pas. Je projette de vivre encore un peu, de continuer à souffrir d’une manière honorable, c’est-à-dire sans éclats ni rancune, de reposer ma vue sur des fronts comme le tien, – tu ressembles à ma fille en moins bien – de rire en secret pour moi toute seule, et aussi de rire ouvertement quand j’en ai sujet, d’aimer qui m’aime… » (L’Étoile Vesper)

« Une quinzaine d’autres 28 janvier passèrent, sans y rien changer, sur cette chambre où je naquis à demi étouffée, manifestant une volonté personnelle de vivre et même de vivre longtemps, puisque je viens d’accomplir le 75e anniversaire que mes amis autour de moi s’obstinent à appeler “un beau jour”. Acceptons qu’ils l’aient rendu beau. Ils m’ont donné tant de choses. » (Le Fanal bleu)

« Il me manque la grande planète, Vénus à l’humide éclat. […] À son troisième nom, Vesper, j’associe, je suspends celui de mon propre déclin. » (L’Étoile Vesper )

« Un âge arrive où il faut choisir entre l’amertume, le pessimisme et le contraire, et il y a longtemps que mon choix est fait – disons­, plus véridiquement qu’il est affiché ». (L’Étoile Vesper )

« Ressusciter ce que je fus !… Quelle femme n’a espéré le miracle ? » (Paysages et portraits)

« Je voudrais bien…

1° recommencer

2° recommencer

3° recommencer.

En y réfléchissant, il me semble que ça n’a pas toujours été commode, ces soixante-dix-neuf ans, mais comme c’était court ! »

(Notes inédites, 1952.)

  • Colette
    1873 - 1954