Ces plaisirs… occupe dans l’œuvre une place singulière et paradoxale. Ne ressemblant à aucun autre ouvrage de Colette, il semble pourtant être la synthèse des différentes fictions où l’écrivaine depuis longtemps a parlé d’amour et de ces plaisirs « qu’on nomme à la légère physiques ».
Le projet pourrait être ancien et remonter aux années 1908-1910 pour la partie concernant don Juan (voir n°). Colette y revient dans les années 20 à la faveur d’un premier portrait de Renée Vivien d’abord publié dans la presse puis repris en volume et de la lecture de Sodome et Gomorrhe de Marcel Proust qu’elle admire tout en lui reprochant d’avoir méconnu Gomorrhe. Ces plaisirs… pourrait avoir été écrit en réponse à ce constat.
L’ouvrage paraît dans un premier temps en feuilletons dans Gringoire, l’hebdomadaire dirigé par Horace de Carbuccia, à partir du 4 décembre 1931. Mais, le 25 décembre la publication est soudainement interrompue : « Le directeur de Gringoire m’informe que mon feuilleton ne plaisant pas à son « grand public », il le coupe purement et simplement. Et pour preuve, au bout du 4e feuilleton, il écrit le mot FIN au milieu d’une phrase. (…) J’avoue que j’en reste assise. Ça ne m’était pas encore arrivé. » (Lettres à Hélène Picard). Colette songe à poursuivre le journal, puis renonce. L’ouvrage sera publié, intégralement, par son éditeur Ferenczi quelques semaines plus tard, au mois de février 1932.
Si l’ouvrage conserve de sa genèse complexe un caractère composite dans la succession des portraits et des anecdotes, il trouve son unité dans le tableau inédit, dans un contexte littéraire autre que léger ou « spécialisé », des différents aspects de la sexualité féminine et masculine et singulièrement de l’homosexualité, et dans une approche qu’on pourra juger pionnière des questions de genre. Adoptant la position extérieure de la journaliste, elle aborde ses personnages comme autant de spécimens : la femme cougar, le don Juan, l’homosexuel, la lesbienne, celles qui se travestissent ou revendiquent une identité masculine… Refusant tout jugement, elle laisse s’exprimer, à travers ses modèles ou des anecdotes, la fluidité des identités et des goûts.
Colette a souvent dit sa particulière dilection pour cet ouvrage pourtant encore méconnu de ses lecteurs, au point de prédire « On s’apercevra peut-être un jour que c’est là mon meilleur livre. » (Colette). Sans qu’elle pût s’en douter, ses réflexions semblent, en effet, devancer les découvertes permises par les études de genre. Avant toute formulation théorique, Colette, dans son œuvre, et singulièrement, dans Ces plaisirs… a su dépasser les stéréotypes de son époque pour saisir la part du masculin et du féminin dans tout être et leur infinie déclinaison.
Livre inclassable, ni roman, ni souvenirs, ni essai, Ces plaisirs… offre également aux lectures une série de portraits saisissants, parmi les plus beaux de l’œuvre.
Voir également Le Pur et l’Impur.