L’histoire du texte
L’ouvrage est paru chez Flammarion en mai 2009. Son texte a été établi et annoté par Samia Bordji et Frédéric Maget. Il représente deux périodes de correspondance, février 1908 – juillet 1911, puis janvier 1931 – fin mai 1940, séparées par une brouille entre les deux femmes et un changement radical de vie pour Colette. Un encart central contient des portraits de Missy à diverses époques, le plus souvent vêtue élégamment de costumes masculins. Quelques clichés la montrent en compagnie de Colette.
Le fil de la correspondance
Le recueil s’ouvre sur un mot de Missy à Willy qui a « mis Colette dans [s]es bras ».
Missy est le surnom de la marquise de Morny, de dix ans l’aînée de Colette. Leur liaison s’amorce en 1905-1906 lorsque Colette quitte son mari et fait ses débuts dans le mimodrame. D’où les nombreuses lettres de la première période, expédiées depuis divers hôtels : sa carrière dans le music-hall entraîne Colette dans des tournées successives qui la séparent de son amie. Ses formules finales signent son attachement à Missy : « Ton enfant très sage », « Votre stupide enfant », ou encore « Une bête cabocharde qui vous aime ».
Lorsque la correspondance reprend en 1931, Colette, épouse de Maurice Goudeket et femme de lettres reconnue, sacrifie au rite des échanges de manière plus classique : elle évoque ses activités, voyages ou vacances à la Treille muscate, et signe « Ta vieille amie Colette ». La publication du portrait de « la Chevalière » dans Ces plaisirs…avait suscité une brouille. Peut-être la parution du même texte sous le titre Le Pur et l’Impur en 1941 explique-t-elle le silence final.
Deux des lettres de Missy éclairent la première rupture épistolaire. Colette, toujours entre caprices et infidélités, précipite l’orage avec sa rencontre de Henry de Jouvenel. Missy écrit le 20 juin 1911 à son amie : « …tu n’es plus mon enfant ; tu seras ma fille, une fille avec qui on est brouillé et qu’on méprise et avec qui on vit, cela se voit souvent […]. Mais s’il te plaît : plus d’enfantillages, ni de chichis, plus de “je ne veux pas”, “je veux”, “moi, moi, moi”… ». Un courrier définitif, daté du 2 août, à Georges Wague (partenaire de Colette à la scène) marque la fin : « …je suis absolument décidée à ne plus la revoir […] quoiqu’elle trouve cela dur et injuste, mettant un merveilleux entêtement à trouver et affirmer qu’elle ne m’a “rien fait”. »
Figurent également – émouvant parallèle à la lettre initiale – des « remerciements » de Henry de Jouvenel, qui révèlent la noblesse de Missy. Il lui répond : « Vous m’écrivez : “Je vous confie Colette”. Je crois avoir compris ce que cette phrase cache encore de tendresse. Et je sens tout ce qu’elle m’impose. J’accepte Colette de vous, Madame. »
Pistes d’analyse
La première partie révèle, dans des lettres emplies du quotidien le plus simple, la grande force du lien qui unit les deux femmes. Même lorsqu’il s’agit d’ennuis de santé, de détails sur un chien ou sur le va-et-vient éreintant des tournées, une profonde tendresse transparaît. Colette se comporte en fille attentive qui s’efforce de faire plaisir : « Je t’embrasse de tout mon cœur, je ne mange pas de coquillages, je bois de l’eau et du citron. » Elle s’inquiète régulièrement de la santé de Missy : « Ne prends pas froid », « Sois bien portante » – ces naïves injonctions trahissant surtout un insatiable besoin de protection : « Qu’il ne t’arrive rien, surtout, j’en mourrais », « Lyon me dégoûte que serait-ce s’il pleuvait ! En dehors de toi tout est affreux. »
La correspondance de 1931 à 1941 reflète une sollicitude réciproque retrouvée. Colette n’a pas oublié qui est Missy, son amour des bêtes, sa crainte des mondanités, ses maux récurrents. Mais surtout, l’on devine en creux l’entière dévotion de Missy à Colette, discrète, sensible et retenue. L’épistolière la remercie souvent pour les douceurs de toutes sortes qui arrivent lors des fêtes, et la rassure vivement après sa fracture de la jambe : « Je n’ai besoin de rien, chère Missy, sinon que tu quittes toute inquiétude. Merci de ta lettre… »
Ce recueil apporte un éclairage essentiel à l’intime connaissance de Colette : ses amours féminines ont toujours entretenu autour d’elle une sulfureuse légende. Or cesLettres à Missy témoignent d’une tendresse singulière, authentique, un partage humain au plus beau sens du terme.
Voir également Le Pur et l’Impur et dans Les Vrilles de la vigne : « Nuit blanche », « Jour gris » et « Le dernier feu », chapitres dédiés à Missy.