« Odeur des joncs riverains, de l’eau remuée et de la menthe grise, saveur douteuse et séductrice de la cornuelle, ce n’est pas cette année encore que vous échappez à qui sait vous enclore dans une chambre de paris – en l’espèce un écrivain peu à peu maîtrisé par son mal, mais secouru chaque jour par la fidèle mémoire de son cerveau et celle de ses vieux sens subtils. » (Le Fanal bleu)
« Je fais de moins en moins la différence entre les heures de nuit et les heures de jour, l’heure de lire, d’écrire, de regarder, toutes sont bonnes… L’heure de conjecturer, de me remémorer… Bientôt, je confondrai, enfin, l’heure de travailler et l’heure de conjecturer. » (Le Fanal bleu)
« Je n’ai plus la maison ; la cinquantaine est loin… Il me reste l’avidité. C’est la seule force qui ne se fasse humble avec le temps. » (Le Fanal bleu)
« Je m’étonne d’avoir vieilli pendant que je rêvais… D’un pinceau ému je pourrais repeindre sur ce visage-ci, celui d’une fraîche enfant roussie de soleil… des joues élastiques achevées en un menton mince, des sourcils mobiles prompts à se plisser, des lèvres dont les coins rusés démentent la courte lèvre ingénue… Hélas, ce n’est qu’un instant… L’eau sombre du petit miroir retient seulement mon image… marquée de légers coups d’ongle, finement gravée aux paupières, au coin des lèvres, entre les sourcils têtus. Une image qui ne sourit ni ne s’attriste et qui murmure pour moi seule : ‘‘Il fait vieillir. Répète-toi cette parole, non comme un cri de désespoir, mais comme le rappel d’un départ nécessaire… » (Les Vrilles de la vigne)
« Comment cela lui est-il arrivé, d’être vieille ? Tout d’un coup, un matin ? Ou peu à peu ? » (La Fin de Chéri)
« Tout est ressemblant aux premières années de ma vie et je reconnais peu à peu, au rétrécissement du domaine rural, aux chats, à la chienne vieillie, à l’émerveillement, à une sérénité dont je sens de loin le souffle, je reconnais le chemin du retour. » (La Naissance du jour)
« Et qu’est-ce que donc que la vieillesse ? Je le saurai. Mais, quand elle sera là, elle cessera de m’être intelligible. Ma très chère aînée [Sido], tu auras disparu sans m’enseigner ce qu’est la vieillesse ». (La Naissance du jour)
« […] un âge vient où il n’est plus donné à une femme que de s’enrichir. » (La Naissance du jour)
« Attendre, attendre… Cela s’apprend à la bonne école, où s’enseigne aussi la grande élégance des mœurs, le chic suprême du savoir décliner. » (La Naissance du jour)
« Au cours des heures où je me sens inférieure à tout ce qui m’entoure, menacée par ma propre médiocrité, effrayée de découvrir qu’un muscle perd sa vigueur, un désir sa force, une douleur la trempe affilée de son tranchant, je puis pourtant me redresser et me dire : Je suis la fille de celle qui écrivit cette lettre – cette lettre et tant d’autres, que j’ai gardées. Celle-ci, en dix lignes, m’enseigne qu’à soixante-seize ans elle projetait et entreprenait des voyages, mais que l’éclosion possible, l’attente d’une fleur tropicale suspendait tout et faisait silence même dans son cœur destiné à l’amour. […] Puissé-je n’oublier jamais que je suis la fille d’une telle femme qui penchait, tremblante, toutes ses rides éblouies entre les sabres d’un cactus sur une promesse de fleur, une telle femme qui ne cessa elle-même d’éclore, infatigablement, pendant trois quarts de siècle… » (La Naissance du jour)
« Il a eu la jeunesse, puis la mort. C’est un destin qu’appellent magnifique ceux qui ont le temps de vieillir. » (La Jumelle noire)
« Cher Wague, ta carte et moi nous touchons Paris à la même heure. Mais tu n’es qu’un ci et un ça, et je suis une gracieuse jeune fille de 80 ans. »
« S’étonner est un des plus sûrs moyens de ne pas vieillir trop vite. » (Discours de réception à l’Académie Royale de langue et de littérature françaises de Belgique.)
« Quand je n’aurais appris qu’à m’étonner, je me trouverais bien payée de vieillir. » (Prisons et paradis)
« Il se fait tard, sans que je m’en sois aperçue. Il est l’heure de laquelle on dit couramment qu’elle est longue, et triste singulièrement aux personnes âgées et seules. Pourtant deux heures, trois heures, ce sont pour moi des instants, pour peu qu’une relative oisiveté m’y aide ». (L’Étoile Vesper)
« Des projets, mon garçon ? Mais bien sûr. À soixante-treize ans moins un quart, on a toujours des projets. Je n’en manque pas. Je projette de vivre encore un peu, de continuer à souffrir d’une manière honorable, c’est-à-dire sans éclats ni rancune, de reposer ma vue sur des fronts comme le tien, – tu ressembles à ma fille en moins bien – de rire en secret pour moi toute seule, et aussi de rire ouvertement quand j’en ai sujet, d’aimer qui m’aime… » (L’Étoile Vesper)
« Une quinzaine d’autres 28 janvier passèrent, sans y rien changer, sur cette chambre où je naquis à demi étouffée, manifestant une volonté personnelle de vivre et même de vivre longtemps, puisque je viens d’accomplir le 75e anniversaire que mes amis autour de moi s’obstinent à appeler “un beau jour”. Acceptons qu’ils l’aient rendu beau. Ils m’ont donné tant de choses. » (Le Fanal bleu)
« Il me manque la grande planète, Vénus à l’humide éclat. […] À son troisième nom, Vesper, j’associe, je suspends celui de mon propre déclin. » (L’Étoile Vesper )
« Un âge arrive où il faut choisir entre l’amertume, le pessimisme et le contraire, et il y a longtemps que mon choix est fait – disons, plus véridiquement qu’il est affiché ». (L’Étoile Vesper )
« Ressusciter ce que je fus !… Quelle femme n’a espéré le miracle ? » (Paysages et portraits)
« Je voudrais bien…
1° recommencer
2° recommencer
3° recommencer.
En y réfléchissant, il me semble que ça n’a pas toujours été commode, ces soixante-dix-neuf ans, mais comme c’était court ! »
(Notes inédites, 1952.)