Après le succès des Claudine, parues sous le seul nom de Willy, Colette publie en 1904, aux éditions du Mercure de France, quatre dialogues de bêtes qu’elle signe « Colette Willy », signature qu’elle utilisera avec quelques variantes jusqu’en 1923. En 1936, dans Mes apprentissages, elle fera de ce modeste ouvrage la première étape de son émancipation : « Je m’éveillais vaguement à un devoir envers moi-même, celui d’écrire autre chose que les Claudine. Et, goutte à goutte, j’exsudais les Dialogues de bêtes, où je me donnais le plaisir, non point vif, mais honorable, de ne pas parler de l’amour.» Toutefois, la dédicace en tête de l’ouvrage « Pour amuser Willy », tout comme la présence sur cet exemplaire d’un envoi autographe de Willy rappellent bien l’absence de revendication littéraire de la part de celle qui était avant tout, aux yeux du public et sans doute d’elle même, la femme de M. Willy.
L’ouvrage, malgré une diffusion restreinte, d’où sa rareté aujourd’hui, attira l’attention de plusieurs critiques dont Francis Jammes. Réédité et augmenté à de nombreuses reprises jusque dans les années 30, les dialogues de Kiki-la-Doucette et de Toby-Chien connurent un succès critique et public durable, au point de devenir un marqueur identitaire de l’auteur au prix de bien des malentendus. Colette renoncera très vite à l’anthropomorphisme de ses premiers textes au profit d’une vision plus complexe et subversive de l’animalité.
Admiratrice de Francis Jammes, dont elle avait lu et apprécié Clara d’Ellébeuse et Almaïde d’Etremont, Colette avait envoyé au « Cygne d’Orthez » ses Dialogues de bêtes. Dès le mois d’avril 1904, le poète répond à l’envoi avec l’amabilité qu’on lui reconnaît et, déjà, cette parfaite conscience de la profondeur de textes qui n’étaient que facétieux en apparence et d’un auteur qui n’était pour beaucoup qu’une « légende parisienne » : « Je ne veux point que vous veniez vers moi du fond de votre légende parisienne, avec votre grâce un peu amère et votre esprit qui rit moins qu’il ne sanglote. »