Ami de Dunoyer de Segonzac, habitué comme lui de Saint-Tropez où, ensemble, ils rachetèrent « Le Maquis », la maison qu’occupa le peintre Charles Camoin, Luc-Albert Moreau fut un des proches de Colette. Est-ce par son ami ou par le biais de son épouse, la violoniste Hélène Jourdan-Morhange, qu’il la rencontra ? Sur ce point, les biographies restent muettes. Colette quant à elle dit avoir découvert son travail grâce à Francis Carco dont il avait illustré plusieurs ouvrages et le connaissait assez en 1929 pour lui louer sa villa « Les Mesnuls » à Montfort-L’Amaury.
En 1932, le « toutounet », comme le surnomme Colette dans ses lettres, illustre pour Les Trente de Lyon, La Naissance du jour. Une partie des 97 lithographies qui accompagnent le texte de Colette, des dessins et des peintures représentant Colette et sa propriété de Saint-Tropez, « La Treille muscate », sont exposés du 16 mars au 4 avril 1933 à la Galerie Cardo, 61 avenue Kléber à Paris. En guise de préface au catalogue, l’écrivaine offre à son ami un magnifique éloge, repris plus tard dans Trait pour trait. En louant son art, elle semble presque nous parler d’elle-même, notant « le même excès de pensée, le même poids, parfois suffocant, de signification », ou encore « l’aptitude à faire connaître que l’arbre respire, que l’eau est habitée, et que le ciel pathétique verse, sur une réalité discutable, toutes les certitudes de la fantasmagorie. »
Par la suite, Colette et Luc-Albert Moreau collaborèrent en diverses occasions, à la faveur de la publication des Cahiers Colette dont il illustre le 3e volume consacré au music-hall en 1935, d’une publicité pour Perrier en 1938, ou pour un simple frontispice pour Mes Cahiers en 1941.
La parution d’En pays connu à l’automne 1949 prend un sens particulier puisque Luc-Albert Moreau est mort brutalement quelques mois plus tôt, à l’âge de 65 ans, le 29 avril. L’édition en forme d’hommage est due à Manuel Bruker, médecin d’origine roumaine, né en Moldavie en 1891, et qui fut selon Pierre Mac-Orlan un « mordu du beau livre ». Peintre et collectionneur, il créa en 1926 sa propre maison d’édition, encouragé en cela par un autre « mordu » le Dr Lucien-Graux. Il y publiera près de 80 ouvrages illustrés de gravures par les meilleurs artistes du temps.
Pour composer l’ouvrage, Colette reprend six textes parus avant-guerre en 1938 et 1939 dans la revue Fiat et dans le quotidien Paris-Soir. Seul un texte, « Ma Bourgogne pauvre » fut publié plus tardivement le 29 novembre 1942 dans La Gerbe. La publication dans un journal ouvertement collaborationniste valut à Colette un article féroce quelques mois plus tard dans les Les Lettres françaises sous le titre « Colette, la Bourgogne et M. Goebbels » où l’auteur anonyme se désole « de voir le nom jusque-là respecté de Colette servir à une telle besogne. » Sans doute ne savait-il pas que quelques mois plus tôt Maurice Goudeket avait été arrêté et que pour le libérer, il avait sans doute fallu céder un peu. Rappelons, d’ailleurs que ce fut le seul texte de Colette qui parut dans le journal dirigé par Alphonse de Châteaubriant.
Les Lettres à Moune et au Toutounet publiées par Bernard Villaret en 1985 aux éditions des Femmes ne mentionnent pas le projet, ce qui laisse à penser que l’éditeur et l’auteur sélectionnèrent eux-mêmes dans les cartons du peintre les dessins reproduits dans le volume où l’on retrouve, notamment, parmi les plus belles et émouvantes représentations de la maison natale de Saint-Sauveur-en-Puisaye.
L’ouvrage fut réédité en 1950 aux éditions Ferenczi. Bien que cette deuxième édition ne contienne aucun texte inédit, sa composition a été considérablement modifiée par rapport à l’édition de 1949. En plus de six textes de l’édition Manuel Bruker, sont repris les textes qui composent Trait pout trait, Journal intermittent et A portée de la main publiés de façon quasi contemporaine au Fleuron.
En 1949, Colette avait publié Le Fanal bleu, qui devait être son dernier livre. Tous les ouvrages qui paraîtront désormais seront composés par Maurice Goudeket à partir de textes inédits trouvés dans les papiers de l’écrivain.