Le fil de la correspondance
Outre celles de Colette, le recueil contient six lettres d’Hélène, quelques dédicaces de la romancière à son amie et un échange épistolaire entre Colette et Marguerite d’Escola au moment de la mort de la poétesse (1er février 1945).
Passés les billets protocolaires à la « secrétaire » du Matin, viennent le tutoiement (qui ne sera jamais réciproque) et l’échange amical, lié aux vacances à Rozven. Très vite se dessine un échange singulier, entre une vagabonde surmenée, assoiffée de vie et une sédentaire se contentant de voyager en poésie, depuis son minuscule appartement parisien.
Les rituels épistolaires — feuillets bleus de part et d’autre, papiers « à compliments » dentelé et orné — accompagnent souvent un don de Colette (objets, fruits, argent) à l’amie peu pratique et démunie. Humour et enjouement pudique dominent, sauf cruciales exceptions (nostalgie à Dieppe, 21 août 1939 ; arrestation de Maurice Goudeket, décembre 1941).
Quelques pistes d’analyse
Ces lettres montrent la tendresse efficace dont Colette entoura constamment la poétesse toulousaine — son exacte contemporaine — venue vivre seule à Paris. Des affinités les rapprochent. D’abord un puissant amour du vivant : en ses divers séjours, Colette devient l’œil enthousiaste de l’absente, sur le printemps de Corrèze ou le bestiaire de la Treille muscate. Même au plus noir de la guerre, le sort des perruches d’Hélène préoccupera l’épistolière.
Apparaît aussi le dialogue de deux femmes de lettres. L’ascétisme d’Hélène en matière d’art impressionne la prosatrice qui tient compte de ses remarques (sur La Seconde,sur le titre de ce qui sera Le Pur et l’Impur…), lui avoue ses difficultés à écrire. Colette l’encourage régulièrement à publier ses vers, lui trouve des journaux pour ses nouvelles, la soutient quand paraît Pour un mauvais garçon (1927).
Au-delà, règne une confiance absolue. L’été 1922 et 1923, Colette sollicite l’amie quand il faut veiller à Paris sur son jeune amant Bertrand de Jouvenel. En retour elle manifeste une sollicitude constante, inquiète, pour celle qui, malade, ne bouge et ne se nourrit guère. Volontiers tutélaire, pourvoyeuse de bonnes nourritures, elle sait être aussi critique, lorsque « Hélène des cimes » oublie les réalités quotidiennes.
L’amitié fut profonde, dévotion de la part d’Hélène, obsession secrète et complexe pour Colette, qui s’attacha à cette femme libre et solitaire.
Voir également l’hommage de Colette composé pour la Revue de Paris du 1er mai 1945, repris dans L’Étoile Vesper : « Pour Hélène Picard ». Dans La Naissance du jour, le personnage d’Hélène Clément offre certains traits inspirés de l’amie.