L’histoire de l’oeuvre
Ce livre est l’un des ultimes écrits de Colette, rédigé en 1947. Il regroupe vingt-deux textes qui sont autant d’évocations de fleurs. En effet, comme le précise la préface à l’édition Fayard de 1991:
« En 1947, l’éditeur suisse Mermod proposa à Colette de lui envoyer régulièrement un bouquet de fleurs à chaque fois différentes ; Colette, en contrepartie, ferait le « portrait » de l’une ou l’autre de ces fleurs. Le résultat fut un petit recueil qui parut en 1948 sous le titre Pour un herbier à Lausanne chez Mermod, dans la collection ‘‘Le Bouquet’’ ».
Les textes qui composent Pour un herbier seront ainsi « La rose », « Lys », « Monologue du gardénia », « Orchidée », « Mœurs de la glycine », « Tulipe », « Faust », « Fétidité », « Souci », « Bleu » [les fleurs], « Le lackee et le pothos », « Muguet », « Camélia rouge », « Jacinthe cultivée », « Anémone », « Broutilles », « L’adonide chez le concierge », « Jeannettes », « Médicinales », « L’arum pied-de-veau », « Pavot », « Ellébore ». Chaque texte représente environ quatre à six pages selon les éditions.
Le fil du texte
Dans Pour un herbier, Colette se laisse aller à « une divagation modeste ». Le texte offre d’abord le leurre d’un modèle conventionnel qui va s’efforcer de livrer une description construite sur des éléments connus tels que les mondes animal et végétal, auxquels s’ajouteront de nombreuses références à des personnalités des arts, contemporaines de l’écrivaine ou non, et des références également à son oeuvre. Ce spectacle de la fleur qu’elle reçoit, elle veut l’aborder avec objectivité, mais à bord de son lit-radeau, et confinée aux quatre murs de sa chambre, il ne lui sera plus possible d’observer la plante dans son contexte naturel. Ainsi c’est avant tout un travail d’imagination qu’elle effectue, allant parfois jusqu’à décrire autre chose que la fleur : la couleur bleue, par exemple, ou une planche recueillie chez un antiquaire.
Quelques pistes d’analyse
Le statut référentiel du narratif est directement en question. Les modes de la représentation sont ceux, classiques, décrits par Philippe Hamon, qui considèrent l’objet selon un parcours métonymique et un système métaphorique notamment, à travers l’ espace, dans ce qu’Hamon décrit comme une dénomination et son expansion.[1] Colette a recours à un bon nombre de procédés tels que le dialogue virtuel qu’elle établit avec le lecteur — par des interrogations, des étonnements, des conseils. Ainsi, la communication est complètement décontextualisée, et le portrait engage trop d’absences : de la fleur, du contexte, du locuteur. Pour pallier ces problèmes, elle introduit d’abord un certain nombre de signaux qui servent de cadre au portrait. Outre l’énoncé métalinguistique (qui souligne ses balises), il s’agit de figures poétiques, de jeu sur des notions sensorielles, qui renvoient le lecteur à sa propre expérience. Ainsi, le texte porte aussi sur Sido et l’univers de l’enfance en offrant une leçon, souvent guidée par la parole : le souvenir d’un vers, d’un refrain amène le souvenir de l’enfance, selon une démarche descriptive logique.
Après que la narratrice a décidé de ne plus donner tant de résonance aux mots et à l’effort d’écriture qu’ils nécessitent, elle décide que la littérature ne peut se substituer à toute représentation. Ainsi, elle remet en question les principes du portrait ‘classique’, et fait allusion à des représentations végétales orientales. Pour la reproduction, la musique ou la peinture, auxquelles elle fait allusion, l’aident à se figurer le réel, dans des glissements et des emmêlements de plus en plus complexes. C’est dans un espace qui n’est ni réel ni de fiction qu’elle embarque, où le jeu avec le lecteur sera de plus en plus puissant : elle l’invite à visualiser pour elle, à donner corps à ces fleurs qu’il n’aura jamais vues. Un rapprochement avec Segalen peut être fait car il semble que, dans Peintures, il ait mené de bout en bout le projet de faire de son lecteur l’enjeu du texte. Sans aller jusqu’à dire que Colette eut la même intention, il est tout de même loisible de constater, au regard de la tournure que prennent ces portraits, qu’elle opte pour une démarche similaire. De plus, comme lui, elle fait allusion à une certaine forme de représentation orientale et, comme Mallarmé qu’elle évoque, ne manque pas de faire un travail avec et sur les mots.