Le point de départ de ce texte semble avoir été vers 1908 -1910 une pièce de théâtre en trois actes destinée au tragédien Edouard de Max, mettant en scène un don Juan vieillissant. Colette y revient vingt ans plus tard à la faveur d’une collection dirigée pat André Billy et René Dumesnil : « Supplément à quelques œuvres célèbres » aux éditions du Trianon.
Colette devait initialement y donner un « Supplément au Traité de l’éducation des filles de Fénelon », en écho sans doute à Mitsou paru en 1919, mais c’est finalement un « Supplément à Don Juan » qu’elle signe et qui constitue le 15e volume de la collection. Outre l’intérêt ancien qu’elle porte au personnage, ce choix est sans doute lié à son nouvel ouvrage, Ces plaisirs…, dont l’écriture est strictement contemporaine. Selon un procédé de recompositions et réécritures qui gouverne toute l’oeuvre, Colette fera de son court essai la matière du volume à paraître. Economie bien comprise de la fabrique littéraire : rationnaliser ses efforts et mutualiser les moyens…
En écrivant sur don Juan, Colette a conscience de s’attaquer à un mythe que, par ailleurs, elle connaît fort bien. Elle reprend en les adaptant certains motifs traditionnels du personnage (l’obsession du nombre, le narcissisme), mais développe une conception plus personnelle du personnage : « sombre, obstiné, paré de cette misogynie foncière qui plaît tant aux femmes… ». Débarrassé de toute dimension métaphysique, le personnage est également dénué de toute forme de méchanceté. Colette défend l’idée d’un don Juan misogyne et misanthrope.
Son originalité réside dans l’interprétation quasi psychologique pour ne pas dire psychanalytique du personnage. Ainsi sa misogynie a pour origine, « l’antipathie d’un sexe pour l’autre (qui) existe en dehors de la névropathie » ou ce qu’elle nomme aussi « l’inimitié originelle ». L’homme et la femme sont inégaux dans le plaisir : « Grenier d’abondance de l’homme, la femme se sait à peu près inépuisable ». L’homme est condamné à être « sensuellement exploité » par la femme et don Juan à « une neurasthénie de Danaïde ».
Colette renverse le lien de domination dans le plaisir et fait de don Juan une victime de son propre mythe.